Laurent Bibard
25 novembre 2017
Propos recueillis par François-Régis de Guenyveau
A l'occasion de la crise du coronavirus, Kea & Partners rediffuse la conférence de Laurent Bibard au Campus de l'Innovation Managériale, organisé par l'Institut de la Sociodynamique en partenariat avec Kea & Partners (Samedi 25 Novembre 2017 - ESSEC Business School)
L'ampleur et la convergence des crises sanitaire, économique, sociale et climatique que nous traversons transforment radicalement l'exercice du pouvoir des chefs d'entreprises. Dans cette conférence donnée à l'ESSEC en 2017, à l'occasion du Campus de l'Innovation Managériale (événement organisé par l'ISD avec Kea & Partners), le philosophe et professeur Laurent Bibard rappelait que le dirigeant se trouvait de plus en plus tiraillé par des injonctions a priori contradictoires :
D’un côté, il se confronte à un monde de plus en plus complexe, qui se révèle de trois manières :
1) Une surabondance de l’information (rapidité, variété et quantité
de l’information)
2) Une incertitude grandissante, que les modèles de prévision n’arrivent pas à compenser
3) Des phénomènes d’émergence (nous savons que quelque chose de radical se prépare, mais nous ne savons ni le cerner ni le contrôler).
Dans ce contexte, le dirigeant ne peut pas faire avancer son entreprise sans la vigilance et la contribution de tous dans les processus d’action et de décision. Des organisations hybrides, où l'information circule facilement et où les décisions peuvent être prises localement sont nécessaires, rendant de facto obsolète l'exercice d'un leadership par imposition.
De l’autre, le dirigeant est attiré par un désir de simplification
Celle-ci peut produire un sentiment de sécurité. De plus, elle est essentiel à la bonne marche de l’organisation. Pour avancer, le dirigeant a en effet besoin de construire une vision cohérente, de contrôler son activité, de mesurer sa performance avec des indicateurs simples et des résultats quantifiables...
Pourtant, et aussi paradoxal que cela puisse sembler, la vraie réponse à une situation complexe n'est ni la complication ni la simplification. Elle doit se trouver dans l’entre-deux, dans l’oscillation permanente entre complexité et simplification, c'est-à-dire entre improvisation et routine, entre créativité et répétition.
Laurent Bibard illustre cette alternance ininterrompue à travers l’exemple du film
Sully*, de Clint Eastwood.
Comment Sully Sullenberg, pilote de l’US Airways, a-t-il réalisé l’impossible en réussissant un parfait amerrissage sur l’Hudson le 15 janvier 2009 ?
Constatant que les moteurs ne fonctionnaient plus, il a d’abord prévenu le copilote et la tour de contrôle en suivant le protocole (routine). Ensuite, considérant qu’il se trouvait dans une situation hors-norme et étant seul maître à bord, il a pris la décision de ne pas obéir à la tour de contrôle qui lui demandait de revenir à la base (improvisation). Puis il a demandé à son copilote s’il voyait une autre solution que d’atterrir sur l’Hudson et, avec la réponse négative du copilote, a conclu qu’il avait son ascendant pour prendre seul les commandes de l’appareil (routine). Il
s’est dirigé vers l’Hudson à sa manière et en renonçant aux règles habituelles de pilotage (improvisation). Enfin, juste avant d’amerrir et ne sachant pas quelle serait l’issue de l’opération, il a prévenu les passagers de se préparer à l’impact (routine).
En résumé, l’exploit se résume à travers trois séquences :
Passer de la dénégation à l’acceptation de l’incertitude
Se donner une obligation de moyens plutôt qu’une obligation de résultats
Osciller en permanence entre une routine parfaitement maîtrisée, acquise au terme de 20 000 heures de vol, et un sens de l’improvisation dans un contexte incertain
Un exemple de management dans la complexité...
* Clint Eastwood, Sully (2016)